~ RÉCITS  DE  VOYAGES ~

~ EN  CREUSE ~

 

 

 

 

 Le samedi 7 juin, malgré une très forte chaleur, je me dirigeai vers des contrées inconnues ; la température élevée ne m'effraya point, je me suis mis en route portant gaiement un léger porte manteau, trois heures sonnaient en ce moment à l'église de Guéret.

Je tournai mes pas vers l'ouest et je pris, pour ne la quitter qu'au bout de ma course, la route de Clermont à Poitiers. Malgré un fort vent d'ouest, ma marche était active, aussi eus-je bientôt franchi le bassin de la Naute et après avoir examiné la belle agriculture de Monlevade, atteint le sommet de la route tracée sur une des montes de Saint-Vaury. De ce point de vue, ma vue découvrait le pittoresque bassin de la Creuse et au delà Ajain et Toulx, lieux si chers à ma mémoire. Je ne fis que leur jeter un coup d'oeil furtif, le temps m'était précieux. Je descendis la montagne pour parcourir un pays peu fertile et peu cultivé et quelques temps après dans un vallon assez creux, j'aperçus Saint-Vaury entouré d'étangs et dans une position pitoresque. J'y arrivais à quatre heures et demie.

Située à 10 kilomètres de Guéret, cette petite ville peut avoir 8 à 900 âmes : elle parait fort ancienne et doit son origine à un monastère qui y fut fondé il y a des siècles et dont on ne voit aucune trace. Elle n'a que deux rues tortueuses, quelques maisons un peu convenables se distinguent parmi les autres constructions fort noires pour la plupart, aussi cet endroit apparait-il assez triste. Placée au midi, près du champ de foire, son église a un extérieur assez triste, la flèche en bois qui la surmonte est élevée. L'intérieur se compose d'un seul vaisseau fort large et sans voûte car des lambris sont à la place. Tout y est fort propre et un grand ordre s'y fait remarquer. L'autel du choeur, fort beau est tout de marbre blanc et orné de riches sculptures : on remarque derrière un fort joli groupe représentant la Passion, en pierre rose avec statuette de 30 centimères de hauteur et d'une exécution remarquable.

Saint-Vaury est au centre de l'ancienne Marche, aussi tout y est admirablement marchois, coiffes à bridons, sabots de dix livres pièce, corsages rouges et jupes vertes, manières rustiques et peu sociables ; en un mot tout ce que les autres provinces reprochent à celle-ci, tout se retrouve dans cet endroit.

Les environs très montagneux, sont peu fertiles et produisent peu de blé, les prairies sont bonnes et les landes y nourissent de nombreuses bêtes à laine.

Je continuai ma route passant auprès de trois montagnes sur l'une desquelles Saint Valéry avait son ermitage et où chaque année sa fête rassemble un grand nombre de personnes ; à leurs pieds s'étendent de charmants vallons. Après avoir passé près d'un étang qui arrose de belles prairies, je me trouvais dans un pays peu cultivé, où se montraient ça et là quelques châtaigniers couverts d'une riche verdure, je le suivis une bonne heure, le paysage devint ensuite plus riant et plus fertile, j'étais près du bassin de la Gartempe.

La contrée dans ce lieu, couverte de châtaigniers, offrait de beaux champs de seigle, la position élevée de la route me permettait de découvrir de jolis coups d'oeil ; au midi se montraient le Grand-Bourg avec son haut clocher et Saint-Priest la Plaine, arrosés par la Gartempe. Placés dans un charmant vallon bien boisé au pied de collines aussi couvertes de quantité d'arbres, plus loin les deux jolies flèches de Bénévent qui dominaient gracieusement cette petite ville que je pouvais apercevoir dorée par les rayons du soleil couchant.

Au nord, je distinguai Fleurat-Naillat près de Chabannes, montagne auprès de laquelle est le berceau de ma famille. Suivant toujours une agréable route, j'arrivais aux Trois et demi et à Leyport, ne rencontrant que de rares habitations. Après Leyport, la route fut moins belle, le jour se mit à diminuer insensiblement et bientôt une tour gigantesque frappa mes regards. Pressé par la curiosité, je m'y dirigeai, c'était le vieux château des comtes de Bridier, une de ces importantes constructions féodales qui disparaissent de jour en jour. 

Construite sur un mamelon élevé, cette vieille ruine domine tout le pays d'alentour. Le voyageur peut y reconnaître une enceinte carrée défendue par deux tours placées aux angles du midi et dont une existe encore dans son entier : elle est haute de 30 mètres au moins et peut en avoir 6 à 7 de diamètre. J'étais fatigué par une marche de 33 kilomètres, je pris cependant mon courage à deux mains pour grimper jusqu'à une ouverture à 4 mètres au dessus du sol et qui forme la seule entrée de la tour. Une pièce ronde et très vaste s'offrit à ma vue ;  sur un des côtés un escalier tournant me permit de monter dans l'étage supérieur exactement semblable, je montai toujours pour arriver ensuite à la plate-forme d'où l'on découvre un horizon magnifique. Par malheur, un sombre nuage me déroba la clarté du soleil et ne me permit pas d'admirer toutes ces merveilles. Je descendis puis me mis à examiner l'extérieur de la tour. Percées de rares fenêtres, ses vieilles murailles sont fort dégradées, un lierre vigoureux les enlace de ses verts rameaux. Pour l'autre partie du château, il reste encore au midi quelques pans de muraille, l'on y voit la porte cintrée qui donnait entrée dans la forteresse, partout ailleurs, les murs sont à fleur de terre.

L'autre tour n'existe plus qu'à 5 ou 6 mètres au dessus du sol, elle est bien plus petite que l'autre et n'a que 2 à 3 mètres de diamètre. Il était 8 heures du soir quand je quittai ces vieilles ruines, ouvrage de plusieurs générations.

Non loin d'elles, je vis écrit sur une modeste auberge "à la halte des Princes". Ces mots me rappellent un fait qui se passa en juillet 1845. Lors de la visite dans notre Creuse du Duc et de la Duchesse de Nemours, leur cortège s'arrêta en ce lieu, près de de l'habitation dont je viens de parler. La princesse était dans une position pressante, aussi fit-elle demander un de ces ustensiles indispensables pour notre pauvre nature, la bonne hôtesse se trouvait prise au dépourvu, mais son esprit inventif lui suggéra une heureuse idée, vite elle court chercher son plus beau saladier et le présente à la princesse, tout porte à croire qu'il lui fut amplement payé !

Revenons à notre route, je fis 2 kilomètres puis il me fallut monter une longue rue et m'arrêter dans une petite cour, c'était là le terme de mon voyage. Un moment après, madame Fargin et Eugène étaient bien surpris d'une visite aussi inatendue. On me fit souper, j'avais faim et un bon lit chassa mes fatigues.

 

  

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