~ RÉCITS  DE  VOYAGES ~

~ EN  CREUSE ~

 

 

Le 5 juillet 1851.

 

                    Depuis quelques jours, je ressentais de temps en temps certaines indispositions que je ne savais à quoi attribuer. Je pensais de suite au manque d'exercice : je n'avais point fait de promenade depuis le voyage de La Souterraine. Aussi le samedi 5 juillet, je pris mon bâton de voyage et à midi j'étais en marche.

Je pris la route bien chérie de mon pays natal jusqu'à Ajain où je ne fis que passer. Là je pris un chemin sur la gauche qui me dirigea dans des parages que je visitais pour la première fois et à trois heures, j'étais à Ladapeyre, bourg situé dans un vallon et composé d'une trentaine d'habitations. J'étais à peu près à 20 kilomètres de Guéret, je me rendis chez HenrietteCandoret, une de mes parentes et après un moment de repos, son mari me fit connaître l'endroit qui est traversé par la route de Tulle et semble assez agréable. Nous allâmes d'abord à l'église qui est un peu retirée : elle se compose d'un simple vaisseau avec une chapelle latérale au nord. Elle est étroite et ses voûtes sont massives. Auprès est une belle croix en pierre qui est ornée de quelques sculptures intéressantes.

Mais ce qu'il y a de plus remarquable est son château, sans contredit une des plus belles habitations de nos pays. Placé à l'est et un peu éloigné du bourg, il est tout moderne. Du vieux castel il ne reste plus qu'une tour qui sert de porte d'entrée. Il est entouré d'un fossé très profond et rempli d'eau et s'il était ceint, comme autrefois, de murailles élevées, on se croirait dans un de ces vieux manoirs de l'ère féodale qui servaient tout à la fois d'habitation et de place de guerre.

Le bâtiment moderne n'a pas l'aspect d'un château, il ressemble à une belle maison bourgeoise. La facade est en pierre de taille et le reste de l'enceinte entourée d'eau, qui n'est pas occupée par la maison, a été transformé en un très beau parterre, orné de fleurs et toutes espèces. Aussi tout est charmant dans cette espèce d'île. Autour du canal sont de vastes et magnifiques jardins très fertiles et n'ayant rien à redouter de la plus grande sécheresse grâce à plusieurs réservoirs toujours remplis d'une eau fort abondante. Au delà, l'on voit deux immenses prairies, dont le vert tapis encadre le tableau dont je viens de parler et il en fait ressortir la richesse. Le tout, embelli par un grand nombre d'arbres, présente au voyageur un coup d'oeil féérique. Aussi puis-je dire que je fus tout émerveillé de ces beautés et que je ne pouvais me lasser de les admirer.

Les environs de Ladapeyre sont très accidentés ; les sommets des collines sont pour la plupart nus et incultes, mais les vallons sont fertiles et l'oeil y découvre de belles prairies et le versant de côteaux est couvert de riches moissons.

Je continuai ma route, il était 4 heures : bientôt je me trouvai près du bassin de la Petite Creuse et la contrée devint alors plus fertile : couverte de nombreux châtaigniers, la campagne y est plus peuplée que celle que je quittais. A chaque pas le voyageur y rencontre quelque hameau. Jusqu'àlors je n'avais vu que des champs de seigle mais les guérets se montrèrent maintenant couverts de froment. Aussi ma route fut-elle courte et bien agréable.

Peu de temps après, le pays devint plus plat, une flèche frappa mes regards et bientôt après j'étais à Clugnat, le terme de ma promenade.

Je me promenai dans ce bourg, un des plus jolis de notre Creuse. Chef - lieu d'une commune de 2 600 âmes, il se compose d'une soixantaine de maisons formant une seule rue traversée par la route de Boussac à Guéret. L'église, devant laquelle est une jolie place, a un assez joli clocher, elle est petite et sombre avec une chapelle latérale. Ses voûtes sont lourdes et massives ayant la forme de voûtes de cave.

 

 

Les environs en sont charmants : ils sont très boisés et bien cultivés. Clugnat dépendait de la province du Berry, aussi ses habitants ont-ils conservé les coutumes et l'accent de ce pays. Tous parlent français mais par malheur ils  ont une arrogance qui est peu sociable. Cette commune est généralement dans une grande indifférence religieuse.

Après avoir tout examiné et m'être promené de long en large, mon estomac se mit à crier famine ; je me mis en devoir de le satisfaire et pour cela j'entrai dans un des premiers hôtels de ce lieu. Je me fis préparer à souper et pour faire la digestion et en même temps délasser mes jambes un peu fatiguées par tous ces kilomètres de marche, j'allais me mettre au lit.

Le lendemain à 5 heures j'étais sur pieds. Après avoir déjeuné, je repris ma route de la veille à 6 heures et à 8 heures j'étais à Ladapeyre. A 10 heures j'entendais la Messe à Ajain et embrassais ensuite mon frère Aristide. Enfin à 3 heures, je rentrais à Guéret, ayant eu soin au passage de prendre, au Pont à la Dauge, un bain qui me fit supporter la chaleur qui était alors très forte.

 

  Fin de cette promenade.

 

  

RETOUR  AU  SOMMAIRE