~ RÉCITS  DE  VOYAGES ~

~ EN  CREUSE ~

 

 

 Le  25 Mai 1851.

 

             Depuis plusieurs semaines, la pluie n'avait cessé de tomber, la température était froide et humide et rien jusqu'alors, n'annonçait le retour du printemps.

Nous étions au mois de mai, ordinairement si doux et si fleuri.  Le vent du nord-est et bientôt l'astre du jour réchaufferont l'atmosphère et se montreront radieux et éclatants.  Mes jambes étaient engourdies, elles ne s'étaient pas exercées depuis longtemps, aussi pris-je la résolution de les satisfaire.

Un dimanche, à 6 heures du matin j'étais en route. Le temps était un peu frais, je dirigeai mes pas vers la route de Paris. Franchir le faubourg de ce nom et atteindre Chardemont ne fut pour moi que l'affaire d'un quart d'heure. Après une heure de marche, je descendais le vallon de la Creuse : un épais brouillard qui s'élevait alors de la surface des eaux me cacha le soleil et me força à me calfeutrer le mieux qu'il me fut possible, à cause du froid qu'il me faisait ressentir. Ce ne fut que l'affaire d'un moment, il se dissipa bientôt et me permit d'apercevoir, sur des rochers à-pic, Glénic que domine sa haute église qui fait au voyageur l'effet d'un château fort. Glénic avec sa position charmante et pittoresque, Glénic le rendez-vous habituel des baigneurs de Guéret.

Là, je quittai la grande route pour prendre sur la droite un sentier grimpant sur une colline escarpée. Ma marche était active, les bords de la Creuse disparurent bientôt à mes regards et je m'enfonçai dans des chemins de traverse. Ma route était charmante, toujours à l'ombre des haies et des arbres. J'arrivai au Mondoueix, commune de Glénic. La chaleur était un peu forte mais grâce à l'ombrage du chemin je n'eus point à souffrir des ardeurs du soleil. Les oiseaux, par leurs gazouillements, saluaient le lever d'un beau jour et de toutes parts la nature, sortie d'un long sommeil, étalait ses richesses. Tout en admirant ces merveilles, j'atteignis le sommet des collines qui séparent les bassins de la grande et de la petite Creuse et à l'ouest un magnifique panorama se déroula sous mes yeux : les montagnes de Saint-Vaury bornaient l'horizon, à leurs pieds se montrait Guéret avec ses maisons blanches et entouré de riches prairies ; plus loin la chaîne de Maupuy, le puy de Gaudy : toutes ces montagnes en partie couvertes de bois, dominent de riants vallons. Plus au sud, Ajain avec son grand corps de bâtiment où j'ai passé cinq années de mon heureuse enfance, venait me rappeler quelques moments moments de tristesse mais que compensèrent beaucoup de joyeux instants.

Je franchis ces collines et quelques temps après, j'étais à Roches, bourg assez agréable avec une modeste église. Je continuai ma route, un dôme se montra à mes regards ; je gravis ensuite une colline : j'avais atteint le but de ma course, l'horloge de Châtelus-Malvaleix sonna alors 7 heures et demie. Je me rendis chez Adeline, fort étonnée de me voir.

Construit sur le versant nord d'une colline, Châtelus est fort irrégulier. Il n'y a pour ainsi dire qu'une rue  formée par la route de Tulle à La Châtre, le reste se compose de maisons bizarrement alignées. Il y en a quelques unes de jolies, mais toutes ces constructions sont généralement noires et anciennes. Au centre est une place très montueuse et peu unie, une fontaine en fait l'ornement, elle est simple mais la décore assez bien. Sur un des côtés s'élève une halle un peu massive mais fort commode. Un joli dôme qui la surmonte lui donne plud de grâce. Le champ de foire est planté d'arbres.

Châtelus est un des endroits qui ont le plus de dissenssions depuis 1848, aussi voit-on que les habitants sont loin de songer à l'ornementation de leur église. Rien n'est plus pauvre que ce temple, situé hors de la ville, entièrement isolé : c'est bien un des plus tristes que j'ai vus. Cette église est fort ancienne, basse et surmontée d'un clocher écrasé. L'entrée en est petite et l'on y pénètre en descendant trois ou quatre marches. N'ayant que deux fenêtres au midi, elle est obscure et humide. Un choeur fort petit, séparé par une balustrade vermoulue de la nef, qui est fort étroite. Sur le côté, une chapelle peu spacieuse, voilà ce qui la compose : des boiseries rongées de toutes parts, deux autels dont l'un est enduit d'une bizarre peinture, composent tous ses ornements. Tout ce qu'elle a de mieux est son tabernacle un peu massif, il est vrai et une sculpture sur bois fort ancienne.

 

Le soir j'accompagnais Adeline à une petite fête d'un bourg voisin, Saint Dizier les Domaines.Après avoir regardé des joueurs et nous être promenés dans le village pendant environ deux heures, nous rentrâmes à Châtelus où il faisait une chaleur étouffante.

Le bassin de la Petite Creuse occupe la plus grande partie de ce pays. Châtelus se trouve sur la rive méridionale ; le pays y est fertile, l'on y voit de belles prairies et beaucoup de champs ensemencés de froment. La campagne a beaucoup d'arbres outre plusieurs bois que l'on y trouve, aussi ces massifs de feuillage rendent le coup d'oeil riant et agréable.

Du champ de foire de Châtelus, une belle vue se déroule : au nord, une chaîne de collines présente une riche végétation, beaucoup de bois, de nombreux villages et de riches moissons forment le fonds du paysage, que domine dans le lointain les collines bleues du Berry. Quelques petits castels y montrent ça et là leurs vieux donjons. Dans le vallon coule la Petite Creuse au milieu d'une riche verdure. En dirigeant sa vue vers l'ouest, la vue est moins étendue et la végétation moins belle mais le pays est plus accidenté, les montagnes de saint Vaury montrent leurs sommets.

Le soir à la nuit tombante, les jeunes gens rentrèrent musique en tête et donnèrent un bal auquel je fus invité. Le besoin de sommeil et ma route du lendemain ne me permirent pas d'y assister, il faut reconnaître aussi que je ne m'en souciais que fort peu !

Le lendemain à 8 heures j'étais en route. A quelques kilomètres de Châtelus, je vis une roche énorme composée de nombreux quartiers de pierre amoncelés les uns sur les autres et qui donne son nom au bourg dont j'ai parlé plus haut. Enfin, midi sonna peu de temps après ma rentrée à Guéret.

 

 Fin de cette promenade.

 

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