~ RÉCITS  DE  VOYAGES ~

~ EN  CREUSE ~

 

 

Voici la suite du récit

 

Le lendemain matin, Eugène me fit connaître La Souterraine, nom de la ville où je me trouvais. Cette ville est assise sur un plateau au pied duquel coule un faible ruisseau qui arrose de belles prairies. Elle peut avoir 2500 âmes. Les routes de Clermont à Poitiers et d'Angoulême à Nevers la traversent et la rendent assez animée. Sur le bord de ces routes et la place du marché, on remarque plusieurs jolies maisons, mais le reste se compose de rues étroites annonçant une ville du moyen-âge. Sur la place dont je viens de parler, la position élevée permet au promeneur  de découvrir de jolis jardins , de belles prairies et une chaîne de collines et au dessus de tout ce paysage, Bridier qui retentit jadis des cris de joie qu'excitaient les fêtes du Moyen-Âge, Bridier qui vit dans son enceinte beaucoup de riches seigneurs, beaucoup d'élégantes châtelaines, Bridier aujourd'hui silencieux et triste et qu'habitent seulement les hiboux et les oiseaux de nuit.

Les constructions de cette ville ancienne, sans de nombreux jardins en terrasses qui se trouvent dans son enceinte , aurait un aspect fort triste. La Souterraine était autrefois fortifiée, l'on y voit encore deux portes qui attestent son antique origine.

Nous entrâmes à l'église, une des plus remarquables de notre Creuse : elle a la forme d'une croix latine et peut dater des 12° et 13° siècle. Deux genres d'architecture y sont nettement déterminés ; le clocher et le choeur d'une part et la nef qui appartient à un âge plus récent. L'entrée principale placée sous le clocher est digne de remarque : elle a de jolis ornements quoiqu'ils appartiennent au style de la décadence. Le clocher, haute tour surmontée d'une flèche en bois, comprend trois étages régulièrement percés de fenêtres assez étroites  : quatre jolies tourelles terminent le dernier. Dans le plan primitif, un clocheton devait être placé sur chacune ; cet ouvrage n'ayant pas été achevé, on le couvrit entièrement d'une flèche en bois hardie et élevée mais qui pourrait être plus en rapport avec la tour qui la supporte.   

 L'extérieur de l'église n'offre pour le reste rien de remarquable. Le côté nord que l'on peut seul apercevoir (celui du midi est masqué par un énorme pâté de maisons) présente de lourds pilastres entre lesquels sont percées d'étroites fenêtres , les murailles des nefs latérales sont seules en pierre de taille. Entrons dans l'intérieur : la grande nef pêche un peu par sa largeur, il est vrai, ses voûtes sont élevées et moitié en plein cintre, moitié en ogive. Pour les bas côtés, trois personnes auraient peine à y passer de front. A l'entrée du choeur, la voûte s'élargit et est d'un bel effet. Le choeur et les chapelles sont la partie la plus remarquable de l'église. Les colonnes composées de deux parties comme j'ai essayé de le faire connaître se découpent en élégantes colonnettes, leurs curieux châpiteaux sont formés de têtes d'animaux bizarres. Les chapelles latérales divisées par une colonne que chacune a en son milieu sont moins remarquables et ce défaut en rend les voûtes fort étroites. Leurs fenêtres et celles du choeur sont jolies : l'abside terminerait avantageusement l'église, si l'on avait pas eu la maladresse de fermer un large vitrail qui l'occupe en son entier.

Eugène  me conduisit dans la crypte de cette église qui est fort curieuse : elle est divisée en plusieurs compartiments  et ses voûtes sont dignes de remarque. On y voit encore les traces des autels que l'on ne veut pas tarder à rétablir : mais partout on a passé un sale badigeon qui cache toute la beauté de cette partie de l'église.

La Souterraine a pour protecteur un conseiller d'état qui lui obtient chaque jour de nouveaux privilèges. Grâce à lui, les messageries de Paris à Toulouse ont dévié de leur route habituelle pour passer dans cette ville : le chemin de fer viendra dans quelques temps lui donner une vie nouvelle; il a en outre, dit-on, obtenu des sommes considérables pour l'embellissement de son église. De grands travaux s'exécutent maintenant on reconstruit les murailles et les voûtes qui menaçaient ruine et on achève l'abside. Sur les nefs latérales une galerie remplacera la toiture, la flêche doit faire place à une plate-forme et donnera aux quatre tourelles les clochetons qu'elles doivent avoir.

Au moyen de ces constructions, cette église deviendra plus belle et offrira au voyageur un plus grand intérêt : aussi ne m'a-t-il pas été facile de juger de ses ornements qui ont tous été enlevés, on y a laissé seulement les objets indispensables  pour les cérémonies religieuses. L'ensemble de cette église ne frappe point la vue par sa régularité, les colonnes et les voûtes du choeur et des chapelles sont élégantes mais celles des nefs fort étroites et très sombres forment un désagréable contraste. Le plan et l'exécution n'approchent point de l'ensemble de celle de Chambon sur Voueize : l'église de Sainte Valérie, construite en pierre de taille, avec ses larges nefs, ses stalles richement sculptés, son élégante flêche et sa belle ceinture de chapelles surpasse de beaucoup celle que j'ai essayé de décrire. Le reste de la journée se passa en promenades qui me procurèrent pendant la nuit un agréable sommeil.

Cette ville présente encore un édifice fort interessant, construit il n'y a que quelques années et dont l'architecture est remarquable. Je veux parler de la communauté des religieuses du Sauveur. Les jardins et les cours sont vastes et très beaux. Il ne me fut possible que de voir la chapelle qui est fort jolie et richement ornée. 

Durant mon séjour, je renouai connaissance avec la personne qui me donna les premiers éléments de lecture, Mademoiselle Emilie Vallet, mariée à La Souterraine.

Les environs de cette ville sont assez fertiles : beaucoup de fourrages et de seigles, quantité de châtaignes : voilà ses productions principales. Comme dans toute notre Creuse, un culture plus intelligente et mieux entendue tripleront son rapport. La campagne est bien boisée et généralement agréable.

Les habitants de ces contrées ont dans leurs manières un mélange de Berrichon et de Limousin. Les femmes sont bizarrement coiffées, un morceau de carton qu'elles placent dans leur couvre-chef lui donne une façon toute singulière.

Je passai le dimanche et le lundi et mardi je rentrai à Guéret.

 

 

Fin de cette promenade.

 

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